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CFDT Crédit Agricole Languedoc

Rémi Bourguignon : "Les syndicats vont devoir aller se confronter avec les salariés"

27 Septembre 2017, 23:05pm

Publié par CFDT CA Languedoc

Rémi Bourguignon : "Les syndicats vont devoir aller se confronter avec les salariés"

Comment les ordonnances vont-elles influer sur les stratégies syndicales et les relations sociales au sein des entreprises ? Rémi Bourguignon, maître de conférences au sein du master RH et RSE de l'IAE de Paris, livre son analyse des évolutions que l'on peut en attendre.

 

Quel regard général portez-vous sur les ordonnances ?

Les ordonnances portent une ambiguïté car deux sujets ont été mélangés : le renforcement et la décentralisation du dialogue social et la réforme du marché du travail. Le gouvernement a brouillé le message, ce qui n'a pas permis de parler suffisamment du dialogue social, les débats s'étant focalisés sur les mesures les plus polémiques : barème de dommages-intérêts, licenciement économique, ...

 

Comment les ordonnances vont-elles modifier les rapports de force dans les entreprises ?

Ces différentes réformes successives (référendum, accord majoritaire, ...) poussent les organisations syndicales à changer de stratégie ; elles peuvent désormais être démenties. Les salariés vont commencer à regarder de plus près ce qui est négocié au sein de l'entreprise et les syndicats risquent d'être davantage sanctionnés. Les salariés ne vont plus voter de la même manière aux élections professionnelles. Les syndicats vont devoir aller se confronter avec les salariés - dont la parole peut peser davantage sur eux - et impulser le débat dans l'entreprise.

Il est d'ailleurs dommageable qu'on ait voulu renforcer le dialogue social sans clarifier les possibilités pour les syndicats de mobiliser les réseaux sociaux ou la messagerie des salariés pour leur communication.

La généralisation des accords majoritaires va également peser sur les stratégies des DRH qui vont devoir trouver une vraie majorité syndicale. Il faut aussi observer comment les entreprises se saisissent de ces nouvelles opportunités. Elles ne l'ont pas fait s'agissant des accords de maintien dans l'emploi et des accords offensifs. Il ne faut pas oublier que les DRH ont aussi le souci de garder de la stabilité sociale.

 

Le risque de contournement des syndicats est-il selon vous probable, notamment avec l'élargissement des possibilités de négocier sans mandat syndical ?

Il s'agit là d'une vraie rupture qui n'a pas été suffisamment soulignée. Mais il n'y a pas pour autant de contournement des organisations syndicales car cette possibilité n'est ouverte que dans les petites entreprises dépourvues de représentation syndicale. Le gouvernement n'a pas franchi la ligne rouge. Il l'aurait fait s'il avait remis en cause le monopole syndical au premier tour des élections professionnelles comme le proposaient certains candidats à la présidentielle. Les organisations syndicales peuvent tout au contraire retrouver une place centrale, mais elles vont être mises sous tension.

 

Peut-on s'interroger sur la légitimité de ces nouveaux négociateurs ?

Leur légitimité viendra de l'élection lorsque ce sont des membres du comité social et économique (CSE) qui négocieront l'accord. Il faut rappeler que depuis la loi du 20 août 2008, la légitimité syndicale elle-même est fondée sur les élections professionnelles ; on n'avait pas encore mesuré toutes les implications de cette réforme.

 

Ne fallait-il pas plutôt tenter de renforcer le mandatement syndical ?

Le mandatement syndical n'a pas fonctionné car les fédérations n'étaient pas forcément favorables à l'idée de donner un mandat à des personnes qu'elles ne connaissaient pas. Par ailleurs, les commissions paritaires de branche qui devaient examiner les accords signés l'ont rarement fait. Il arrivait aussi que le mandatement soit le fait d'une demande de l'employeur ce qui jetait le doute sur le mandat.

Il s'agit pourtant d'une bonne idée puisque le mandatement permet de conserver un certain contrôle de la négociation et constitue une porte d'entrée pour la syndicalisation. Mais la réalité est tout autre ; dans les faits, il n'a pas agi comme un levier. L'échec du mandatement renvoie toutefois à l'échec des organisations syndicales elles-mêmes. La balle est dans leur camp.

 

L'idée du chèque syndical a été une nouvelle fois abandonnée en cours de route. Vous avez publié deux études sur le sujet. Quel bilan en dressez-vous ?

Le chèque syndical n'est pas concluant. Il soulève plusieurs interrogations. Le salarié qui remet un chèque syndical devient-il adhérent ou non ? Le chèque syndical peut ainsi créer une confusion avec l'adhésion dont la cotisation est plus élevée et porte le risque de diluer la notion d'adhésion syndicale.

Finalement, personne ne le porte plus vraiment alors même qu’il était dans plusieurs programmes de la présidentielle. Ce qui est embêtant, c’est qu’avec la disparition du chèque syndical, c’est le débat sur la syndicalisation qui a disparu. Si la question des moyens syndicaux est, elle, présente dans la perspective des décrets, elle n’est pas non plus abordée sous l’angle de la syndicalisation qui reste pourtant le meilleur moyen de sécuriser les salariés.

 

La souplesse apportée au cadre juridique des plans de départs volontaires (PDV) peut-elle remettre en cause l'essor de la négociation des PSE depuis 2013 ?

La loi de 2013 a en effet constitué une bonne surprise ; la négociation sur les PSE a fonctionné alors que ce n'était pas gagné d'avance. Déjà, au début des années 2000, les entreprises négociaient des accords de méthode en matière de restructuration. Par ailleurs, les PDV constituaient une pratique qui se stabilisait avec parfois des pratiques extrêmement vertueuses. On peut se demander pourquoi le gouvernement a voulu modifier leur cadre juridique, même s'ils resteront soumis à négociation.

 

Les ordonnances modifient aussi le régime juridique de l'extension des accords collectifs. Qu'en pensez-vous ?

Le gouvernement remet en cause l'un des piliers de notre modèle social. Toutefois l'extension automatique des conventions collectives est l'une des raisons de l'affaiblissement syndical ; cette procédure crée de la déconnexion entre les syndicats et les salariés. Dans d'autres pays, afin de bénéficier des conventions collectives, les salariés doivent être syndiqués. Reste à savoir si nous pourrions aller plus loin et prévoir que les conventions collectives ne s'appliquent qu'aux salariés syndiqués. La question mériterait d'être posée au Conseil constitutionnel.

actuel-RH