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CFDT Crédit Agricole Languedoc

[Entretien] Alex Taylor : l’Europe chevillée au cœur

22 Mai 2019, 23:05pm

Publié par CFDT CA Languedoc

Nonsense ! Cette expression anglaise, à la fois transparente et intraduisible, s’applique à merveille à la situation actuelle du Royaume-Uni. Alex Taylor, journaliste et citoyen français depuis peu, vit cette séparation comme une affaire personnelle. Il en a fait un livre : Brexit, l’autopsie d’une illusion.

[Entretien] Alex Taylor : l’Europe chevillée au cœur

Comment avez-vous vécu l’annonce du résultat du référendum sur le Brexit ?

J’ai eu le sentiment que l’on m’arrachait une partie de mon identité. Je l’ai d’autant plus mal vécu que je n’ai pas eu le droit de voter, comme tous les Britanniques installés depuis plus de 15 ans hors du Royaume Uni. Si les expatriés avaient pu voter, le Brexit ne serait jamais passé. Nous savons trop ce que nous devons au principe de libre circulation en Europe, tellement décrié par les brexiters. Je suis très engagé sur cette question et pas très objectif. Je suis profondément européen.

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à venir vivre en France à l’âge de 20 ans ?

Il y a eu deux raisons. L’une est très personnelle et je ne m’en cache pas, c’est mon homosexualité. J’ai su à l’âge de 7 ans que j’étais différent des autres mais j’ai toujours pensé que c’étaient les autres qui avaient un problème, pas moi ! Je suis très reconnaissant au petit garçon que j’étais à l’époque d’avoir compris cela. Mais j’ai quand même eu droit aux insultes dans la cour de récréation.

Le climat était antihomos dans les années 70 et 80 en Grande-Bretagne. L’homosexualité était illégale. Dans les années 80, je crois, Margaret Thatcher adoptait la clause 28, qui interdisait de promouvoir l’homosexualité en public, ce qui à la fois ne veut rien dire et veut tout dire [l’amendement 28 a été adopté en 1988 et abrogé entre 2000 et 2003]. D’ailleurs, Poutine s’en est inspiré en adoptant la même loi dans son pays il y a trois ans. L’autre raison de mon départ était plus politique : comment vivre dans l’Angleterre de Thatcher à 20 ans ? D’autant plus que je vivais en Cornouailles, qui n’est pas la partie la plus excitante de l’Angleterre. Un très beau pays, mais très boring [ennuyeux] !

 

Quelles ont été vos premières impressions à votre arrivée en France ?

Je suis arrivé en 1981, c’était l’explosion de la vague rose. François Mitterrand venait d’être élu. C’était le début des radios libres et j’ai rencontré par hasard celui qui a fondé Fréquence Gaie, une radio gay, diffusée 24 heures sur 24, et en plus financée par le gouvernement ! J’y ai travaillé plusieurs années, j’y ai rencontré mon petit ami de l’époque. Je suis tombé amoureux de Paris.

Le Paris des années 80 était un phare de liberté pour les gays, comparé à la Grande-Bretagne de Mrs. Thatcher. Je serai éternellement reconnaissant à la France de m’avoir accueilli. C’est important de comprendre ce qui peut rendre les gens fiers et heureux d’être européens.

Pour moi, l’amour, le sexe, le fait d’avoir pu assumer mon identité, d’avoir pu dire « je t’aime » dans plusieurs langues… tout cela, c’est grâce à l’Europe. J’ai une vraie raison de cœur d’être attaché à l’Europe.

 

À quoi ressemblait la Grande-Bretagne de Mrs. Thatcher ?

Dans les années 70, on l’oublie trop souvent, la Grande-Bretagne était l’homme malade de l’Europe. L’inflation était à 25 %, les grèves n’en finissaient pas. Quand j’étais petit, nous avions la semaine de trois jours. Les services publics fonctionnaient trois jours sur sept à cause des pénuries d’électricité causées par les grèves de mineurs. Ces grèves ont fini par provoquer la chute du gouvernement [Edward] Heath et amené Margaret Thatcher au pouvoir. Plus tard, pour venir à bout des syndicats, Mrs. Thatcher a fait stocker l’équivalent de deux ans de réserves de charbon.

On a tendance à l’oublier mais les Britanniques frappaient désespérément à la porte de l’Europe pour y entrer, ils quémandaient leur intégration, ce que les brexiters ont du mal à croire. Il n’y avait pas du tout cette espèce d’arrogance qui est apparue bien après, avec ce refrain : « Nous avons sauvé l’Europe, nous avons gagné la guerre, nous avons toujours été les meilleurs… »

 

L’héroïsme des Britanniques pendant la guerre est légendaire et cette mémoire semble constitutive de l’identité britannique…

Cette mémoire s’est manifestée tardivement. La génération qui a fait la guerre n’en parlait pas. Mon père s’est battu en France et en Italie, il a reçu des médailles, mais il n’en a jamais vraiment parlé. Il adorait l’Europe et voulait me la faire découvrir. Tous les étés, nous partions un mois sur le continent. On n’avait pas beaucoup d’argent, on campait et on mangeait des baked beans réchauffés sur un Campingaz. C’est ça qui m’a ouvert à l’Europe. Je ne sais pas quelles étaient les opinions politiques de mon père mais ma belle-mère, qui est le seul lien familial que j’aie encore en Angleterre, me dit que jamais il n’aurait voté pour que le pays quitte l’Union européenne.

 

Quel est le sens du Brexit selon vous ?

Le Brexit, c’est une vaste crise d’identité britannique qui a couvé pendant ces quarante dernières années où les pires horreurs ont été dites sur l’Europe. On n’a cessé de mettre sur le compte des directives européennes des décisions prises par le gouvernement. Nous avons la presse la plus virulente d’Europe, orientée à 80 % contre l’Union européenne. Même la BBC, pourtant réputée pour la qualité de son information, a beaucoup perdu à cause de quelques journalistes-vedettes, des hommes pour la plupart, âgés, et dont la conception d’une identité britannique boursouflée prime sur tout argument rationnel, sur les faits et sur la réalité.

Prenez l’exemple de Boris Johnson (ex-maire de Londres et fervent défenseur du Brexit) qui, au début de sa carrière de journaliste, passait son temps à inventer des bobards sur l’Europe. Il était correspondant du Daily Telegraph à Bruxelles, au début des années 90. Il arrivait chaque matin en se frottant les mains, à l’affût de la moindre mesure qui pouvait être interprétée comme mauvaise pour la Grande-Bretagne. Il a aussi travaillé pour le Times, qui a fini par le virer pour avoir écrit des mensonges.

 

Comment voyez-vous cette crise se résoudre ?

La seule issue est qu’ils sortent de l’Union européenne. Je ne suis pas pour un second référendum. Pourtant, ne serait-ce que pour des raisons démographiques, les jeunes étant globalement proeuropéens, le maintien dans l’Union l’emporterait aujourd’hui à 54 ou 55 % selon les sondages.

La seule chose capable de briser cette crise d’identité est de l’affronter, d’en finir avec ce fantasme d’un Royaume-Uni tout puissant. En finir avec l’idée, répétée sur tous les tons, que l’Union européenne a davantage besoin de nous que nous de l’Union. Comme si c’était crédible, avec d’un côté 65 millions de Britanniques et de l’autre 740 millions d’Européens !

 

Qu’est-ce qui vous lie encore à votre pays d’origine ?

La dernière fois que je me suis senti très fier d’être britannique, c’était en regardant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de 2012. On peut trouver un montage sur YouTube. 

Le spectacle de la reine sautant en parachute au-dessus du stade olympique… il fallait oser ! On n’aurait jamais vu ça en Chine ou dans tout autre pays. L’hommage au NHS, le service de santé britannique, le passage de la torche parmi la population londonienne, les actrices de la série Ab Fab [la série TV Absolutely Fabulous] allumant leur cigarette à la flamme olympique, un jeune homme faisant sa demande en mariage, des enfants, des personnes âgées… C’est une séquence où l’on voit la Grande-Bretagne dans toute sa gloire et toute sa dérision vis-à-vis d’elle-même, un pays qui donne l’impression d’être à l’aise avec son image, d’être cool et plus adapté au rôle qu’il doit jouer.

 

Qu’est-ce qui vous manque le plus ?

Le thé !  C’est le goût de mon enfance. Le thé noir, ordinaire, le builder’s tea. C’est une boisson pas du tout snob. Je ne pourrais pas non plus me passer de Marks & Spencer, ce sont les seuls à vendre des scones dignes de ce nom  !

Propos recueillis par mneltchaninoff@cfdt.fr

©Michel Le Moine