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CFDT Crédit Agricole Languedoc

Crédit Agricole : la lourde facture des « années folles »

25 Février 2013, 00:05am

Publié par CFDT CA Languedoc

grenouille verte

Pour rattraper ses concurrents et obtenir au plus vite une stature européenne, le groupe mutualiste a opté pour une politique de croissance externe débridée. Il en paie aujourd'hui le prix.

« Il y a cinq ans, il faisait beau partout, même en Grèce. Il y avait de la croissance, tout baignait… » C'est par cette formule qu'un des dirigeants du Crédit Agricole résume la soif d'acquisitions des années 2000, qui a fragilisé le groupe mutualiste. La Banque verte paie en ce début d'année un lourd tribut à ses ambitions passées. Le 1 er février, Crédit Agricole SA (Casa), le véhicule coté du groupe, a averti le marché qu'il serait contraint de passer une charge de 2,676 milliards d'euros dans ses comptes du 4 trimestre 2012 pour « dépréciation d'écarts d'acquisition ». De quoi alourdir les pertes annuelles de Casa et faire basculer pour la première fois le groupe mutualiste dans le rouge - à hauteur de 3,8 milliards d'euros.

A quoi correspondent ces fameux « écarts d'acquisition », également appelés « survaleurs » ou en anglais « goodwills » ? Ils constituent une sorte de prime payée par un groupe lors de l'acquisition d'une société à un prix supérieur aux capitaux propres comptables de l'entreprise achetée. Cette différence de prix est classique, elle incarne le devenir de la société convoitée : sa rentabilité future grâce aux synergies attendues, mais aussi sa réputation, ses brevets, ses équipes… Autant d'éléments qui ne figurent pas au bilan comptable d'une entreprise.

Si les grandes banques qui ont mené des politiques de croissance externe doivent aujourd'hui composer avec leurs écarts d'acquisition, Crédit Agricole SA bat des records. Le bureau d'analyse financière indépendant AlphaValue a classé 38 banques européennes cotées, sur la base des chiffres de 2011, pour mesurer le risque de ces goodwills par rapport à leurs capitaux propres. Avec un ratio de survaleurs rapportées à ses fonds propres de 43,9 %, la structure cotée de la Banque verte se place largement en tête de classement, à une bonne encablure du numéro deux, Santander (32,8 %), et très loin devant son premier concurrent français, BNP Paribas (16,7 %). Le groupe souligne qu'il serait plus juste de prendre en compte pour le calcul de ce ratio le total de ses fonds propres, et donc ceux des caisses régionales, ce qui, selon ses calculs, replacerait le Crédit Agricole dans la moyenne des banques. Reste que, au 30 juin dernier, les écarts d'acquisition de Casa s'élevaient à 17,4 milliards d'euros, la dépréciation de survaleurs intervenue au début du mois permettant de les ramener à quelque 14 milliards d'euros.

Jusqu'au milieu des années 2000, le poids des survaleurs ne constituait pas un handicap, car les codes de comptabilité internationaux permettaient aux entreprises de les amortir par petits bouts au fil des ans. Mais les règles du jeu ont été modifiées en 2005. Les entreprises, qui doivent chaque année tester la valeur de leurs acquisitions, ont désormais l'obligation de comptabiliser une perte dans leurs comptes si cette valeur a baissé par rapport au moment de l'achat et si, donc, la valeur inscrite au bilan n'est plus fidèle à la réalité du moment. Sous la pression de l'AMF et de l'Esma, les autorités de régulation des marchés financiers nationale et européenne, les banques ont renforcé en 2012 l'examen à la loupe de leurs « goodwills ». C'est cette « opération vérité » qui a conduit Crédit Agricole SA à enregistrer la dépréciation du dernier trimestre 2012. Les montants en jeu sont impressionnants, mais le mécanisme n'ayant aucun impact sur la solvabilité - les fonds propres réglementaires sont calculés après déduction des survaleurs  -ni sur la liquidité de l'établissement, la Bourse a paradoxalement salué ce « grand nettoyage » des comptes.

L'importance des survaleurs de Casa est proportionnelle à l'appétit du groupe mutualiste qui, pendant les années fastes, a multiplié les acquisitions en haut de cycle, payées trop cher. Le choix de s'introduire en Bourse en 2001 via Crédit Agricole SA, pour faciliter les rachats par échange d'actions, répondait à cette stratégie. Une part importante des écarts d'acquisition remonte en fait à l'absorption du Crédit Lyonnais en 2003, payée fort généreusement. Si la robuste banque de réseau, devenue LCL, n'a pas nécessité de dépréciations de survaleur, ce n'est pas le cas du pôle de banque de financement et d'investissement du Crédit Lyonnais, fusionné à Crédit Agricole Indosuez pour former Calyon, rebaptisé par la suite Crédit Agricole CIB (« Cacib »). La Banque verte vient en effet de déprécier 466 millions d'euros de « goodwill » au titre de sa banque de financement et d'investissement, et 366 millions pour le courtier Newedge.

Les autres survaleurs dépréciées proviennent pour la plupart de la politique de croissance externe débridée menée principalement à l'international, pour rattraper les banques concurrentes et obtenir rapidement une stature européenne. En quelques années, la banque s'est emparée du spécialiste du crédit à la consommation Lukas en Pologne (2001), de la filiale de crédit de PPR Finaref (2003), d'une banque en Serbie (2005), puis, sous l'ère du directeur général Georges Pauget, Casa a investi en 2006 en Ukraine, en Egypte, et, pièce maîtresse de l'édifice, a acquis la banque grecque Emporiki. Un gouffre dans lequel le groupe aura englouti au total 8,3 milliards d'euros. L'année suivante, Casa achetait la banque de détail italienne Cariparma et une participation de 20 % dans l'espagnole Bankinter. La facture se présente aujourd'hui avec une dépréciation d'écart d'acquisition de 921 millions pour la banque de proximité en Italie, et de 923 millions pour l'activité de crédit à la consommation.

Pour certains analystes, la banque du « bons sens près de chez vous », habituée à engranger de solides bénéfices, a perdu durant la dernière décennie son âme mutualiste.« Nous avons beaucoup grossi, trop rapidement, trop cher… Le Crédit Agricole a pris des baffes, s'est retrouvé dans le cordes, mais la banque de proximité est intacte, et nous voulons la renforcer », rassure-t-on en interne. Un retour aux fondamentaux, en quelque sorte.

Les Echos