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CFDT Crédit Agricole Languedoc

[Interview] “Nous n’avons pas d’autre choix que de nous parler”

18 Mars 2016, 00:05am

Publié par CFDT CA Languedoc

[Interview] “Nous n’avons pas d’autre choix que de nous parler”

Dans un entretien accordé à l'hebdomadaire La Vie, Laurent Berger revient sur l'importance de la concertation sociale, notamment en cette période marquée parle projet de loi El Khomri.

 

Pourquoi êtes-vous favorable à une réforme du Code du travail ?

Depuis 2010, la CFDT réclame la création d’un compte social personnel, l’équivalent du compte personnel d’activité. Nous militons aussi depuis longtemps pour la mise en place de négociations collectives par branche et par entreprise. C’est la raison pour laquelle nous pensons que le texte que le gouvernement vient de réviser après avoir entendu plusieurs de nos revendications est potentiellement porteur de progrès pour les jeunes et les salariés. En revanche, nous dénonçons l’idée reçue selon laquelle pour embaucher il faudrait pouvoir licencier plus facilement. Il faut que le patronat ait conscience que pour obtenir davantage de souplesse il faut miser sur la négociation collective en développant des règles sociales, en investissant dans la formation. Arrêtons de croire que la protection des salariés ou des ­chômeurs crée du chômage.

 

Quelle forme devrait prendre cette négociation collective ?

Ne soyons pas naïfs. Dans le monde du travail, il y a des rapports de subordination. Si on laissait les employeurs décider tout seul de tout, les salariés auraient de gros soucis à se faire. Il faut donc discuter au niveau national, comme nous l’avons fait, depuis 2008, avec la loi de modernisation du travail, suivi de l’accord pour la sécurisation de l’emploi, pour la formation professionnelle, pour l’assurance chômage. Mais il faut aussi donner de l’espace à la négociation collective dans les branches et les entreprises. Pour nous, le dialogue social est la voie, il n’y en a pas d’autre possible. Pour que ce dialogue ait lieu et soit fécond, nous pensons qu’il faut donner plus de marge de manœuvre aux entreprises et aux salariés sur le terrain. C’est aussi ce que propose le projet de loi El Khomri.

 

Le référendum d’entreprise fait-il partie du dialogue social que vous appelez de vos vœux ?

À la CFDT, nous ne parlons pas de « référendum », mais de « consultation ». Lorsqu’elles signent un accord et qu’elles sont minoritaires, les organisations syndicales doivent pouvoir, de leur propre initiative, consulter l’ensemble du personnel. Face aux mutations du monde du travail, les syndicats ne doivent pas avoir peur du point de vue des ­salariés. Si je crois à la négociation collective, c’est que je n’ai pas peur de ce que peuvent faire nos militants. Je n’ai pas peur non plus de ce que peuvent penser les salariés. Un « syndicalisme moderne », c’est un syndicalisme qui se met en situation d’écoute, notamment des salariés. En revanche, nous sommes beaucoup plus réservés lorsque la décision de consulter le personnel est prise par la direction de l’entreprise, en amont de la négociation collective. Cela relève de la prise d’otages.

 

Ce que vous appelez « syndicalisme moderne », est-ce un syndicalisme réformiste ?

Le terme « réformiste » est réducteur, parce que la réforme pour la réforme, ça n’a pas de sens. Ce qui guide une organisation comme la nôtre, ce sont d’abord des valeurs fortes : la démocratie, la justice sociale, le respect de la personne, l’émancipation des individus… C’est ensuite une volonté de transformation sociale. Cela nous invite à regarder la réalité en face, telle qu’elle est. Que cela nous plaise ou non, notre monde est aujourd’hui marqué par une mondialisation qui produit un énorme impact sur nos sociétés, et donc sur notre économie, avec des révolutions technologiques et numériques fulgurantes. Ce monde a de nombreux défis à relever, notamment écologiques. Et je voudrais à ce sujet vous faire une confidence : le pape François est sans doute l’un de ceux qui en parlent le mieux.

 

En quoi ces mutations concernent-elles un syndicat comme la CFDT ?

Un syndicat moderne ne peut pas se contenter de rester sur le terrain des seules revendications salariales. En prenant en compte le réel, il faut aussi que nous jouions un rôle de sensibilisation, d’aptitude au changement, d’éducation populaire. Comment ne pas rester enfermés dans le monde d’hier pour faire advenir le monde de demain ? Comment vivre sur une planète saine, avec des rapports sociaux équilibrés, où le combat contre la pauvreté permet à la fois de sauvegarder notre environnement et de réduire les inégalités ? Comment donner à espérer, favoriser le vivre ensemble, construire une société plus tolérante et plus ouverte ? Voilà les questions que nous portons à la CFDT. Pour nous, le sort réservé aux réfugiés est un drame absolu. Et le citoyen que je suis a été profondément choqué par les propos du Premier ministre le 13 février à Munich, quand il a affirmé que l’Europe ne pouvait plus accueillir les demandeurs d’asile. Ces propos m’ont fait honte.

 

En cherchant à construire une société plus ouverte, ne risquez-vous pas de nier les conflits d’intérêt ?

Vous avez raison, il ne faut pas être naïf. Comment faire en sorte que ce ne soit pas le plus fort qui gagne à chaque fois ? Pour trouver un compromis, il faut mettre clairement sur la table ces conflits d’intérêt. Dans le monde économique et social, cela s’appelle de la négociation collective. Dans une société démocratique, il s’agit de recréer des capacités de délibération, de débat, d’écoute de ce que vivent les citoyens. Une société qui nie les intérêts contradictoires de ses membres ou qui estime que ceux-ci ne peuvent se régler que par la victoire d’un camp sur un autre devient une société totalitaire. Pour avancer ensemble et pour échapper à la brutalité des rapports sociaux, de plus en plus violents, nous n’avons pas d’autre choix que de nous parler. Je ne veux pas laisser à mes enfants une société constituée de gagnants et de perdants.

 

Pourquoi devient-il de plus en plus difficile d’entreprendre des réformes dans notre pays ?

Après avoir subi des chocs extrêmement brutaux, avec les attentats terroristes et la montée du FN, notre pays vit une sorte de fatigue démocratique. Il s’interroge et doute de son avenir. Face à cette situation inédite, nous sommes confrontés à un véritable problème de gouvernance, nous manquons de méthode. Si on ne dit pas où on va, si on ne montre pas le cap, alors toute tentative de réforme est vouée à l’échec, car ultra-anxiogène. Vous n’intéressez pas les citoyens avec des courbes et des objectifs chiffrés. Vous les mobilisez sur le sens, sur ce qu’on va faire ensemble. Pour chercher des solutions d’avenir, nous sommes parfois enfermés dans une vision binaire, qui conduit à une conflictualité négative. Si nous voulons en sortir, il faut davantage écouter les citoyens et les salariés. Leur faire confiance et leur redonner confiance. Cela participe d’un même mouvement.

 

Pour redonner confiance à notre pays, ne faudrait-il pas faire de la lutte contre le chômage une cause nationale ?

Notre société n’est pas seulement séparée entre les insiders, qui ont un emploi fixe, et les outsiders, les chômeurs ou les précaires. Quand on regarde les chiffres du chômage, la frontière se trouve plutôt entre ceux qui retrouvent un travail qualifié et ceux qui n’arrivent plus à suivre. Ceux qui n’ont pas ou qui n’ont plus les compétences qui leur permettraient d’exister sur le marché du travail. C’est la raison pour laquelle il faut investir massivement dans la formation, permanente ou initiale, et dans l’apprentissage. Cette priorité donnée à la formation pourrait devenir une vraie cause nationale, bien plus efficace pour lutter contre le chômage que le fait de pouvoir être licencié par un simple SMS, comme cela se pratique en Grande-Bretagne. Pour la CFDT, tout ce qui contribue à fragiliser les salariés fragilise toute la société.