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CFDT Crédit Agricole Languedoc

[Film] La Syndicaliste, ou le calvaire d'une lanceuse d'alerte

3 Mars 2023, 16:55pm

Publié par CFDT CA Languedoc

[Film] La Syndicaliste, ou le calvaire d'une lanceuse d'alerte
S'il était issu d'un scénario original, on peinerait à y croire tellement les ingrédients du thriller politique imprègnent le film. Mais voilà, le film La Syndicaliste est tiré d'une histoire vraie et adapté du livre d'une journaliste. Le résultat est glaçant.

Tout y est : ministres impuissants, catastrophe industrielle et sociale, puissance étrangère aux appétits féroces, patrons redoutables, enquête bâclée, preuves disparues, etc. Bref, c'est bien une affaire d'État que met à l'écran Jean-Paul Salomé, dans le film La Syndicaliste, sorti en salles ce 1er mars.

 
L'histoire vraie de Maureen Kearney

En 2012, Maureen Kearney, secrétaire CFDT du comité de groupe européen d'Areva, est agressée et violée à son domicile, alors qu'elle se sentait surveillée et recevait des menaces anonymes par téléphone. Elle tentait depuis plusieurs mois d'alerter la classe politique sur les risques sociaux que faisait planer sur Areva un projet d'accord secret entre EDF et une entreprise chinoise. Le but de l'opération : transférer à la Chine les savoir-faire d'Areva sur les réacteurs de moyenne puissance, puis liquider les emplois correspondants et faire d'EDF la plaque tournante du nucléaire français. Maureen Kearney va se dresser contre ces projets et le payer très cher (lire notre article).

Par incompétence, manque de temps ou auto conviction, les gendarmes vont vite tourner en rond et en déduire que la syndicaliste de la CFDT a mis en scène sa propre agression. Passant du statut de victime à celui d'accusée, elle sera placée en garde à vue puis jugée coupable de dénonciation mensongère par le tribunal correctionnel de Versailles le 6 juillet 2017 (lire le compte-rendu de ce procès dans Dalloz actualité). Mais l'Irlandaise d'origine ne lâche pas le morceau. Elle revient sur ses aveux arrachés sous la pression des policiers, change d'avocat et de psychologue (au profit d'un ancien médecin militaire spécialiste des traumatismes de guerre), et fait appel. La défense s'organisera autour de deux points : tout d'abord, Maureen Kearney n'a pas pu se ligoter elle-même car une blessure à l'épaule causée par une chute immobilisait sa main droite. Ensuite, l'absence de traces ADN de l'agresseur ne signifie pas pour autant que la gendarmerie n'en a trouvé aucune : les analyses envoyées au laboratoire ont disparu… La cour d'appel de Versailles l'acquittera le 19 septembre 2018 (lire cet article).

 
Isabelle Huppert, Marina Foïs, Yvan Attal

La ressemblance entre l'actrice et Maureen Kearney est plus que frappante et exploitée à fond dans le film : même corps frêle à la limite de la maigreur, même chignon blond relevé derrière la tête, même régularité des traits. Isabelle Huppert semble parfois un peu coincée dans le rôle de la femme traumatisée chez qui on tente d'insinuer le doute, surtout quand on connaît la variété de sa palette de jeu. Mais son interprétation répond à merveille à celle de Marina Foïs qui campe avec justesse une Anne Lauvergeon en patronne de choc. Yvan Attal habite un Luc Oursel en chef d'Areva irascible, n'hésitant pas à envoyer une chaise à la figure de Maureen Kearney en pleine réunion (l'anecdote est vraie).

 
Un manque de collectif ?

Organisée par la CFDT Cadres et sa secrétaire nationale, Franca Madinier, en présence du réalisateur Jean-Paul Salomé et Maureen Kearney, la projection-débat à laquelle nous avons assisté, mrecredi 1er mars au cinéma mk2 du 13ème arrondissement de Paris, a permis aux syndicalistes (CFDT) de poser leurs questions. Ils sont venus la plupart du temps en petits groupes remplir la grande salle aux confortables fauteuils rouges.

L'une d'entre eux a jugé dommage que le film occulte la dimension collective du combat d'une Maureen Kearney abandonnée par les autres élus du personnel (à ce sujet, lire notre interview). La réalité est en effet différente de l'impression donnée par le film : la secrétaire du comité de groupe européen a été soutenue par son syndicat et la confédération CFDT (dont Laurent Berger) qui a pris en charge ses frais d'avocat.

Très émue par les applaudissements de la salle, Maureen Kearney a insisté sur ce point après la projection : "Vous m'avez soutenue du début jusqu'à la fin. Ce combat a été gagné collectivement". De même, selon Sébastien Lambert, secrétaire général du Syndicat national du nucléaire et de la métallurgie (S2NM-CFDT), "nous, tes copains, on sait que tu as été seule parce que tu as été meurtrie dans ta chair. Par contre, sur le reste, la CFDT ne t'a jamais abandonnée car tu ne l'as jamais abandonnée, tu as assumé les mandats qu'on s'était donnés collectivement".

Le réalisateur Jean-Paul Salomé explique à la salle ses choix cinématographiques par la nécessité de tenir en deux heures un film grand public, en mode thriller politique et centré sur l'héroïne. Si le film ne met sans doute pas suffisamment en valeur le personnage de Jean-Pierre Bachmann, coordinateur CFDT d'Areva, c'est pour les mêmes raisons : réserver les projecteurs à Maureen Kearney, victime d'un État qui laisse filer des secrets nucléaires, et de services de police incapables de diligenter une enquête sérieuse. La Syndicaliste n'est donc pas un documentaire, et le spectateur désireux d'en savoir plus devra se tourner vers l'ouvrage de Caroline Michel-Aguirre, paru en format poche à l'occasion du film (1). Cette configuration contribue sans doute au rythme quelque peu haché du film, contraint de s'adapter au déroulement des événements. La Syndicaliste n'en reste pas moins un film à voir, en particulier pour qui n'aura jamais entendu parler de cette affaire.

 
Une leçon de courage militant

Comme l'a lancé Franca Madinier, secrétaire nationale de la CFDT Cadres, " Si Maureen avait été un homme, aurait-elle subi les mêmes torts ?". L'interrogation est pertinente et reprise par Béatrice Lestic, secrétaire nationale de la CFDT en pointe de la lutte contre l'inégalité hommes-femmes, pour qui Maureen Kearney a été agressée parce qu'elle était une femme : "On n'a pas d'exemple à ma connaissance d'homme militant à qui on fait subir des agressions sexuelles pour le faire taire. On peut le battre, l'insulter, mais sans agression sexuelle. C'est une vraie arme sexiste et masculiniste". La lanceuse d'alerte a vécu également la double peine de ne pas être crue et de voir son agression retournée contre elle. Un calvaire que vivent encore trop souvent de nombreuses femmes en France qui témoignent d'enquêtes à charge et du manque d'écoute du duo police/justice.

Maureen Kearney s'est enfin heurtée à des journalistes peu précautionneux, diffusant son adresse, harcelant sa fille au téléphone. "Les médias ont traité le sensationnel. Il y eu plein d'articles quand j'ai été condamnée. Et seulement deux ou trois au moment de mon acquittement", dit-elle avec un délicieux accent irlandais. A-t-on tiré les leçons de cette affaire ? Est-on assuré qu'elle ne se reproduira pas ? Rien n'est moins sûr. Quant aux secrets d'Areva, ils ont bien été transférés à la Chine qui vend désormais des centrales nucléaires partout dans le monde grâce au savoir-faire français. Au passage, l'affaire aura brisé la vie d'une femme courageuse. Tout ça pour ça. Mais que voulez-vous, les affaires sont les affaires...

 

(1) Caroline Michel-Aguirre, La syndicaliste, Livre de poche 2023, 262 p., 8,40 €

 

► Fiche technique du film :

  • Réalisation : Jean-Paul Salomé
  • Scénario : Caroline Michel-Aguirre, Fadette Drouard
  • Production : Le Bureau Films
  • 2h 01min
  • Avec Isabelle Huppert, Grégory Gadebois, François-Xavier Demaison, Yvan Attal, Marina Foïs