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CFDT Crédit Agricole Languedoc

Laurent Berger : « Je ne veux pas avoir à demander quoi que ce soit à ceux qui nous gouvernent »

21 Juin 2023, 07:16am

Publié par CFDT CA Languedoc

CFDT, PASSAGE DE TEMOIN (1/2).

Le numéro un de la CFDT laisse la main ce mercredi à Marylise Léon. Il lui lègue une organisation à la cohésion renforcée, installée comme le chef d'orchestre du concert syndical, mais dont le réformisme a été mis à rude épreuve.

Laurent Berger : « Je ne veux pas avoir à demander quoi que ce soit à ceux qui nous gouvernent »

Mercredi, il tournera la page de vingt-cinq ans de militantisme, mais il n'a pas encore peur du vide : « Je ressens plus de soulagement que de manque. Diriger la CFDT, c'est génial, mais c'est fatigant aussi et exigeant. » Quand Laurent Berger nous confie cela la semaine dernière dans son vaste bureau du 4, boulevard de la Villette déjà à moitié vidé par ses soins, son oeil droit tressaute de fatigue. Les derniers mois ont été rudes pour celui qui fut la tête de pont de la contestation de la réforme des retraites et n'a pas pu empêcher sa promulgation.

Mais Laurent Berger a choisi à la fois sa date de départ et celle qui va lui succéder à la tête de la CFDT, donc il tire sa révérence sans regret. Mercredi, il passera le flambeau à Marylise Léon. Dans son discours d'adieu, il compte parler aux 2.700 militants réunis à Paris de « la chance extraordinaire », du « don qui lui a été fait de diriger » la centrale pendant onze ans.

« Cure de silence »

A partir de jeudi, il « s'astreindra à une cure de silence ». Passé l'inévitable phase de décompression, à s'occuper de son fils Emile, 5 ans, voir la famille et les copains, et se ménager « une semaine à marcher tout seul avec tente et sac à dos en Bretagne », il va devoir se créer une nouvelle vie. Il a 54 ans et encore dix ans de travail devant lui (à moins qu'il n'entre dans un dispositif « carrière longue », mais il « ne sait pas », il n'a pas pris le temps de vérifier). « La CFDT a ceci de particulier que ses secrétaires généraux ne finissent pas en retraite. Donc il faut retrouver du travail. »

Laurent Berger, c'est l'école du nous.

Jean-Paul Leduc son premier mentor à Nantes

La confédération a aussi une tradition : ses anciens dirigeants tournent vraiment la page tout en veillant à ne pas gêner leurs successeurs. Malgré une cote de popularité flatteuse et les multiples appels du pied d'une gauche en mal de leaders sociaux-démocrates, pas de passage en politique donc. Ce n'est de toute façon pas dans son ADN, lui qui se défie de « la personnalisation outrancière » de la vie publique. « Laurent Berger, c'est l'école du nous », dit le Nantais Jean-Paul Leduc, son premier mentor syndical. Il n'y aura pas non plus de recasage dans une structure proche du syndicat : « Il ne faut pas que votre présence écrase, il faut laisser la place à ceux qui suivent. » Laurent Berger ne veut pas parler de sa recherche d'emploi, mais il sait déjà ce qu'il exclut.

Je ne vais pas demander à être reclassé par le président ou le gouvernement.

Laurent Berger

Son prédécesseur, l'ancien éducateur spécialisé François Chérèque avait rejoint l'IGASS… Lui n'a jamais été fonctionnaire et ne se voit pas intégrer « la sphère publique ». « Je ne veux pas candidater dans l'administration ou les entreprises de la sphère publique, car je ne veux pas avoir à demander quoi que ce soit à ceux qui nous gouvernent », tranche-t-il. Avant d'expliciter : « Vous imaginez bien qu'avec la position qui a été la nôtre [contre la réforme des retraites, NDLR], je ne vais pas demander à être reclassé par le président ou le gouvernement. »

Dernier mot d'Alain Touraine

Il a toujours apprécié les réunions de travail avec les intellectuels et se montre tout ému d'avoir reçu le dernier manuscrit d'Alain Touraine accompagné d'un mot du grand sociologue, la veille de sa mort . Il a toujours aimé mettre en forme les idées qu'il note quotidiennement sur des carnets Moleskine (dix livres en onze ans). Et pourtant, il ne souhaite pas non plus rejoindre un think tank.

« J'ai envie d'être opérationnel dans une entreprise ou une ONG », lâche-t-il. Il recherche « un boulot qui a un impact et où on ne se sert pas de mon nom comme trophée ». Cela pourrait entraîner quelques questionnements existentiels. Pourrait-il supporter un chef au-dessus de lui après onze ans à la tête de la première organisation syndicale du pays ? Pourrait-il être lui-même tenu par une solidarité de direction après avoir défendu les salariés toute sa vie ? « Il y a pas mal de choses que je n'ai pas vraiment faites comme les autres », balaie-t-il.

C'est peu de le dire… On entend les oufs de soulagement de la Macronie à l'idée d'être débarrassé de ses leçons d'empathie, de dialogue social et de pratique démocratique. Quand Laurent Berger les professait en tendant la main au gouvernement (pendant le mouvement des « gilets jaunes » et lors de la précédente tentative de réforme des retraites de 2019), l'exécutif avait cru bon de les ignorer. Lorsqu'il a fait basculer la CFDT dans la rue, il était devenu impossible de le rattraper tant l'exaspération était montée de la base au sommet de l'organisation depuis 2017.

Il n'est plus temps de démêler l'écheveau des relations - compliquées - entre le numéro un de la CFDT et le président de la République. Dans la bouche de Laurent Berger, c'est un rendez-vous manqué du seul fait du chef de l'Etat : « Ce qu'Emmanuel Macron n'a pas compris, c'est qu'avant même qu'il devienne président, le monde syndical avait commencé à bouger. Il n'a pas compris qu'il y avait potentiellement un truc à jouer [avec la CFDT], car il n'a pas la même conception que nous de la place du syndicalisme. Il n'a jamais cherché à construire de véritable compromis avec nous. ».

Pour un mec qui voulait nous renvoyer dans les entreprises, la période Macron ne s'est pas soldée par un retour de la CFDT dans sa coquille.

Laurent Berger

Une pause suivie d'un sarcasme : « Pour un mec qui voulait nous renvoyer dans les cordes et dans les entreprises, la période Macron ne s'est pas soldée par un retour de la CFDT dans sa coquille. Je suis satisfait d'avoir participé avec d'autres à remettre le syndicalisme au centre du jeu. »

Au fond, un de ses combats majeurs depuis 2017 aura été de ne pas laisser son syndicat être cantonné à l'intérieur des entreprises, d'avoir défendu la légitimité de la CFDT à produire une analyse de la société indépendante des politiques. C'est d'ailleurs tout le sens du Pacte du pouvoir de vivre, créé en 2019 et hébergé au siège de la CFDT. « On veut sortir de nos tuyaux d'orgues, penser globalement et produire du commun », explique Christophe Robert, directeur général de la Fondation Abbé-Pierre et cheville ouvrière du pacte, avec Laurent Berger.

Premier syndicat de France

Sa plus grande « fierté » est d'avoir fait de sa centrale la première organisation syndicale du pays depuis 2017. Mais rien n'est tout blanc ou tout noir. L'avance sur la CGT tient plus au déclin de celle-ci qu'à une progression de l'audience de la centrale de Belleville et s'inscrit dans le cadre d'une montée de l'abstention. Fin 2022, la CFDT restait, avec 612.205 adhérents, en deçà de ses effectifs de 2018. Le mouvement sur les retraites a suscité 50.000 adhésions, mais, pour l'heure, rien ne dit qu'il ne s'agit pas d'un feu de paille. Mission accomplie ?

Si Laurent Berger doit laisser une trace dans l'histoire du syndicalisme, ce sera d'avoir installé la CFDT en chef d'orchestre, donnant le la du concert syndical. Demander à n'importe quel leader d'une des huit organisations syndicales nationales de vous parler de l'intersyndicale contre la réforme des retraites, et vous entendrez des expressions de ravissement : « historique », « tournant », « rien ne sera plus comme avant »…

Dans l'intersyndicale, ni la CFDT ni la CGT n'ont joué les gros bras.

François Hommeril Président de la CFE-CGC

Pendant un an, ils ont réussi à parler d'une seule voix sans étaler leurs divergences et « dans un climat de confiance », disent-ils. « Tout le monde a fait des efforts mais plus on est gros, plus on doit en faire. Ni la CFDT ni la CGT n'ont joué les gros bras », raconte le patron de la CFE-CGC François Hommeril. « Nous nous sommes respectés, on a travaillé en transparence. Quand vous êtes capable de dire aux autres : 'ça, je ne pourrai pas', vous avez gagné. Car nous savons tous ce que c'est que de gérer des organisations collectives », explique Laurent Berger.

Ils viennent de réussir à arrêter, de concert, le mouvement social sans rompre le fil du dialogue qui les unit désormais. Mais ils ont quand même perdu le bras de fer avec l'exécutif. « C'est une défaite productive, veut croire le numéro un de la CFDT. C'est une défaite, car les 64 ans vont s'appliquer aux salariés ; et c'est productif, car cela a montré un grand sens de la dignité de la part des travailleurs et une maturité de la part des syndicats. »

L'avenir ne dépend plus de lui, mais il a encore deux conseils s'agissant des relations entre syndicats : « Il faut éviter deux risques : tuer l'intersyndicale en repartant comme avant, ou faire une intersyndicale permanente qui, soit mentirait à tout le monde car on a des désaccords, soit tétaniserait les organisations qui s'en tiendraient au minimum commun. » Bref, il faut continuer « de se rassembler sur les sujets sur lesquels on peut travailler ensemble ».

Nul ne sait encore la conclusion que tireront les manifestants et les Français à l'égard des syndicats : qu'ils se sont battus avec davantage de sérieux et de dignité que les politiques ou que les 14 journées de mobilisation n'ont servi à rien ? Une fois n'est pas coutume, Laurent Berger est piqué au vif par cette question : « Il y avait une autre option pour ne pas perdre : il ne fallait pas rentrer dans le match, laisser passer le truc. Ç'aurait été horrible, le syndicalisme aurait nié sa raison d'être. » A ce point ?

En janvier, l'idée d'une CFDT qui aurait tourné le dos à ses fondamentaux a circulé, renvoyant à la période Nicole Notat, quand elle théorisait la préférence pour le compromis à froid par la force de la conviction plutôt que le mouvement social… Laurent Berger renonçait-il au réformisme ? Il s'en défend : « Mon action à la CFDT ne se résume pas aux six derniers mois ; j'assume tous les accords qu'on a signés. S'engager dans les discussions et passer des compromis reste la marque de fabrique de la CFDT, mais quand on n'est pas d'accord, on est dans la contestation. » Réformiste contrarié ou réformiste qui n'exclut pas le rapport de force de sa palette… Ce n'est pas un hasard si, avant de partir, Laurent Berger souligne le nombre d'accords nationaux interprofessionnels signés par son organisation - vingt-deux dont six dans le cadre de « l'agenda social autonome », sans intervention du gouvernement et initiées par la CFDT et le Medef.

« Constructif par nature »

Pascal Brice, le président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) qui a de l' « amitié » pour Emmanuel Macron, défend quand même le syndicaliste : « Laurent est par nature constructif. Il est marqué par le caractère incandescent de la période et la responsabilité que chacun porte dans ces moments-là. Ce qui m'inquiète pour la vie démocratique, c'est que le pouvoir comme les oppositions découragent beaucoup les bonnes volontés, ceux qui acceptent des compromis pour construire. »

« Laurent a redonné à la CFDT un bon équilibre entre propositions et combativité », estime Thierry Pech, le directeur général de Terra Nova. Venant d'un ancien conseiller de François Chérèque, dirigeant d'un think tank de centre gauche qui a travaillé avec Emmanuel Macron, ce satisfecit n'est pas anodin.

Sur les retraites, ce n'est pas Berger qui a changé.

Antoine Foucher Ex-directeur de cabinet de Muriel Pénicaud au ministère du Travail

Quand le gouvernement espérait à l'automne que la CFDT ne mette pas toutes ses forces dans la bataille, il avait sans doute oublié la réforme Sarkozy de 2010 qui avait reculé l'âge de départ en retraite de 60 à 62 ans. « A l'époque aussi, la CFDT avait dit non… sauf que Sarkozy avait une majorité au Parlement », se souvient Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef. Antoine Foucher, ancien directeur de cabinet du Muriel Pénicaud au ministère du Travail, abonde : « Sur les retraites, ce n'est pas Berger qui a changé. Cela arrange le gouvernement de dire ça, mais c'est juste pas vrai. »

Cohésion renforcée

Mais ce mouvement social a changé des choses : il a permis aux manifestants de la CFDT de se retrouver nombreux dans la rue sans se faire traiter de « traîtres » par leurs homologues de Solidaires ou de la CGT. Avec des salariés de « deuxième ligne » très présents dans leurs rangs (le syndicat francilien du nettoyage est le plus important de la centrale), ce conflit a aussi renforcé leur sentiment d'être en phase avec le monde du travail d'aujourd'hui. Et cela a fortifié la cohésion de la centrale.

Ces derniers mois, les mises en cause personnelles ont été légion et même si Laurent Berger dit « s'en foutre », il a été blessé « quand certains ont voulu faire parler François Chérèque par rapport à moi. Il ne m'aurait pas déjugé ». Les deux hommes s'étaient rencontrés le 13 juin 2003 dans un studio de France 3. Le numéro 1 de la CFDT et celui qui n'était alors que secrétaire général de l'Union régionale des Pays-de-la-Loire y avaient été séquestrés par des opposants à la réforme des retraites, approuvée alors par la CFDT (ça ne s'invente pas). Ensuite, ils ne se sont plus quittés et Thierry Pech témoigne de leur « affection partagée ».

Laurent Berger a été aidé dans son ascension syndicale et il cultive la fidélité à ses mentors. Qu'il s'agisse de Chérèque dont le portrait barré d'un « salut François ! » s'affiche en grand dans son bureau, ou d'Edmond Maire qui, célébrant en 2004 les 40 ans de la CFDT, avait terminé son discours en citant le texte d'« un jeune responsable » de 36 ans, Laurent Berger. Ce dernier écrivait alors que sa génération allait « devoir apprendre à articuler rapport de force et intelligence du compromis. Elle va devoir inventer son réformisme. » Est-ce fait ?